Le dernier des trois « grands ducs » du cinéma français vient de rejoindre les deux premiers Philippe Noiret et Jean Rochefort dans la mort.
C’est aussi la fin de l’immense génération dite de la bande du conservatoire qui avait vu Jean Rochefort, Jean-Paul Belmondo, Claude Rich, Bruno Cremer éclater au cinéma et lui donner ses plus belles heures.
Jean-Pierre Marielle étonne par sa silhouette longiligne et sa voix grave.
Il a su alterner au long de sa carrière de comédien théâtre et cinéma.
Il débute au cinéma en 1957 dans un petit rôle pour « Le grand bluff » un film oublié de l’obscur Patrice Dally dans lequel Eddie Constantine déclinait à l’envi les films d’espionnage ou policiers de comédie. Il fait aussi à la fin des années 1950 des petits rôles dans des pièces filmées pour l’unique chaîne télévisée à l’époque ce qui lui permet de se faire remarquer. Il alterne ainsi pendant une dizaine d’années petits rôles au cinéma, théâtre et petits rôles à la télévision.

En 1963 il tourne dans « Peau de banane » de Marcel Ophüls avec son ami Jean-Paul Belmondo, Jeanne Moreau, Claude Brasseur et Gert Fröbe. Il enchaîne l’année suivante dans une comédie de Jean Girault « Faites sauter la banque » (1964) dans laquelle joue Louis De Funès. Il tient le le second rôle et montre que la comédie est un genre qui lui sied à merveille.
Cette même année il retrouve Jean-Paul Belmondo qui aime s’entourer de ses amis sur ses tournages sur le set du film de Jean Becker « Echappement libre » (1964).
Puis il tourne dans une comédie signée Philippe de Broca « Un monsieur de compagnie » (1964) et retrouve Jean-Paul Belmondo sur un film ambitieux et onéreux de Henri Verneuil « Week-end à Zuydcoote« . Le spectacle est là et le succès aussi.

Retour au cinéma de Jean Becker. Toujours avec Jean-Paul Belmondo. Mais les deux amis ont quasiment un rôle de même importance. Jean-Pierre Marielle étant plus là comme faire valoir. « Tendre voyou » (1966) malgré ses faiblesses de rythme trouve son public.
En 1969 il retrouve Philippe de Broca pour une belle comédie « Le diable par la queue » Avec Jean Rochefort en châtelain et Yves Montand en gangster incognito. Jean-Pierre Marielle affûte ses rôles qui deviendront dominant dans sa carrière. Celui du con sympathique, du hâbleur sans mauvais fond ou du dragueur de supermarché.
L’année suivante il retrouve Philippe de Broca pour « Les caprices de Marie » (1970). Il partage l’affiche avec Philippe Noiret, Marthe Keller et Bert Convy.
Sur le très ambitieux film en costume « Les mariés de l’an II » (1971) de Jean-Paul Rappeneau où Jean-Paul Belmondo tient l’affiche avec Marlène Jobert et Laura Antonelli, Jean-Pierre Marielle est le narrateur. Le film est un gros succès.

Changement de registre avec « Sans mobile apparent » (1971) de Philippe Labro. Il y tient un rôle ambigu et révèle une nouvelle facette de ses possibilités d’acteur.
Le voici la même année dans un film transalpin. Il joue un inspecteur homosexuel dans le giallo « Quatre mouches de velours gris » de Dario Argento. Le maître du policier horrifique italien tombe dans la facilité. Le film n’est qu’un objet de consommation. Au générique On trouve Bud Spencer et Mimsy Farmer.

Avec « Sex shop » (1972) de Claude Berri, Jean-Pierre Marielle inaugure les rôles où la libido du personnage sera prépondérante dans la psychologie de celui-ci. Il entraîne le personnage qu’incarne Claude Berri dans les joies et turpitudes de la libération sexuelle à Paris.
Il tourne pour Georges Lautner alors en pleine « période Mireille Darc » une comédie d’espionnage « La valise » (1973). Hélas la comédie tourne à vide.
On retrouve Jean-Pierre Marielle dans un brûlot antiraciste de Yves Boisset « Dupont Lajoie » (1975) Jean-Pierre Marielle est l’animateur du camping près duquel un meurtre d’une jeune femme a eu lieu.

En 1975 il tourne un noble breton pauvre, et en révolte contre le régent Philippe d’Orléans dans « Que la fête commence » de Bertrand Tavernier. Ce dernier à l’acteur un rôle mémorable, grandiose. Servi par des dialogues qui allient la truculence et la syntaxe du dix-huitième siècle. Un rôle quasi taillé sur mesure.
Au générique Philippe Noiret qui interprète le régent et Jean Rochefort en abbé Dubois. Et aussi Marina Vlady et Christine Pascal.
Le film couronné de succès. Et Bertrand Tavernier se hisse parmi les grands réalisateurs français avec ce deuxième film.
Cette même année toujours dans la truculence et dans le rôle d’un représentant de commerce en parapluie amoureux de la gente féminine et peintre à ses heures de détente, il décroche un autre rôle dont le public se souviendra longtemps. « Les galettes de Pont-Aven » de Joël Séria et obtient sa première nomination pour l’obtention d’un César. Mais il doit s’incliner face à Philippe Noiret qui rafle la statuette pour « Le vieux fusil » (1975) de Robert Enrico.
La libération de la femme et des mœurs amènent leur lot de films. Après Sex-Shop voici « Calmos » (1976) de Bertrand Blier. Jean-Pierre Marielle et Jean Rochefort fuient la ville et surtout leurs femmes. On connait la misogynie légendaire du cinéma de Bertrand Blier qui commença dès « Les valseuses » (1974). Ici le principe est poussé à son paroxysme. Hélas le film ne tient pas les mêmes promesses que son film précédent. Et certaines scènes semblent absconses. D’autres sont obsolètes en ces années 2010.

Jean-Pierre Marielle retrouve Georges Lautner pour « On aura tout vu » (1976) dans lequel il joue un producteur de film pornographique et complète ainsi sa galerie de portraits de libidineux.
Il retourne avec Joël Séria pour « …comme la lune » (1976). Il incarne un fier à bras qui se voit bafouer dans ses amours par un rival et ses conquêtes.
Enfin Claude Berri fait à nouveau appel à lui pour « Un moment d’égarement » (1977). Il interprète un père divorcé qui part en vacances avec un ami qui lui aussi est séparé de sa femme et père de famille d’une fille de 17 ans. Il a une relation sexuelle avec la fille de son ami se mettant dans une situation délicate envers son ami, sa fille et la société…

En 1977 avec Jean Rochefort il forme un duo pour la chanson du générique du film de Bertrand Tavernier « Des enfants gâtés« . Mais ni l’un ni l’autre ne jouent dans le film.

En 1979 il tourne pour Edouard Molinaro « Cause toujours… tu m’intéresses! » Avec Annie Girardot alors l’actrice la plus populaire en France, ils tentent de sauver les meubles d’une comédie mal fagotée et extrêmement pantouflarde.
Pendant les années 1980 Jean-Pierre Marielle rééquilibre ses projets entre cinéma et théâtre. Il tourne donc moins de films. Passant de 4 films par an en moyenne à un ou deux.
Il tourne « L’entourloupe » (1980) de Gérard Pirès dans lequel il est un homme sans scrupule qui vend des encyclopédies médicales à des paysans sans le sous. Les dialogues du film sont en partie écrits par Michel Audiard. D’autres sont improvisés.
Il est entraîné par Christian Gion dans une pochade sur le commerce de l’or noir. « Pétrole, pétrole » (1981) qui a eu son succès à sa sortie en salles est de nos jours bel et bien oublié.
Cela fait plus de 5 ans que Jean-Pierre Marielle n’a pas tourné dans un grand film. « Coup de torchon » (1981) de Bertrand Tavernier remet les pendules à l’heure. Hélas il n’apparaît que dans un second rôle. Double me direz-vous, étant donné qu’il interprète des frères jumeaux dont l’un est proxénète. Mais si brèves que soient ses apparitions elles sont quand même mémorables. Bertrand Tavernier relève chez Jean-Pierre Marielle son perfectionnisme qui pousse toujours le réalisateur à multiplier les prises. Gros succès.

Pierre Lary convoque Jean Rochefort et Jean-Pierre Marielle pour « L’indiscrétion » (1982) une sorte de thriller au dénouement étrange. Le film est un échec.
L’année suivante pour Jacques Monnet il tourne « Signes extérieurs de richesse » (1983). Encore un second rôle d’une comédie poussive sur la défiscalisation dans lequel il est « comptable expert » et non expert comptable.

En 1984 il tourne un téléfilm qui va avoir un beau succès, « Les capricieux » de Michel Deville avec Nicole Garcia. Un film sur le marivaudage vu par le cinéaste qui a le plus fréquenté l’univers de Marivaux.
Jean-Pierre Marielle enchaîne les seconds rôles « L’amour en douce » (1985) d’Edouard Molinaro, « Hold-up » (1985) d’Alexandre Arcady et « Tenue de soirée » (1986) de Bertand Blier

Sa carrière au cinéma prend une nouvelle dimension avec « Les mois d’avril sont meurtriers » (1987) de Laurent Heynemann. Il y interprète un flic borderline qui harcèle son suspect exhibant à celui-ci les circulaires ministérielles lui donnant des pouvoirs coercitifs sur lui de plus en plus coercitifs. Magnifique scénario co-signé par Bertand Tavernier. Et magistrale interprétation de Jean-Pierre Marielle qui montre une face bien plus sombre que celle à laquelle il a ait habitué les spectateurs.

Claude Sautet fait appel à Jean-Pierre Marielle pour jouer un second rôle dans « Quelques jours avec moi » (1988). Le revirement psychologique de son personnage est étonnant. Jean-Pierre Marielle sert son personnage avec un grand talent. Il est une fois de plus nommé aux César, et une fois de plus passe à côté du trophée.

En 1989 il tourne avec Jean Carmet un téléfilm qui aura un gros succès. « Bouvard et Pécuchet » d’après le roman de Gustave Flaubert.
En 1990 il tourne « Uranus » de Claude Berri. Film choral mais en partie vampirisé par Gérard Depardieu qui fait un numéro exceptionnel. Mais aussi par Michel Galabru qui étonne par sa noirceur d’âme dans le rôle d’un parvenu grâce au marché noir.
1990 Alain Corneau qui a délaissé le film policier, genre qui l’a fait connaître du grand public, se lance dans le fil de costumes avec « Tous les matins du monde« . Et il corse l’affaire en y mettant en avant la musique baroque de Marin Marais et de Sainte-Colombe son maître. Jean-Pierre Marielle y interprète un Sainte-Colombe Janséniste pour lequel la musique n’est pas une fantaisie.
C’est peut-être le rôle le plus accompli de Jean-Pierre Marielle. Jacques Dutronc pour le « Van Gogh » de Maurice Pialat emporte le César du meilleur acteur et prive une fois encore Jean-Pierre Marielle d’une statuette compressée.
Retour gagnant à la télévision avec « La controverse de Valladolid » (1992) Jean-Pierre Marielle (Bartolomeo de las Casas) et Jean-Louis Trintignant (Juan Gines de Sepùlveda) s’affrontent sur le traitement des indiens aux Amériques. Le film discutable sur le plan historique est une réussite sur le plan technique de la réalisation, de la direction d’acteur et de l’interprétation.
Claire Devers convoque la même année Marielle aux côtés de Philippe Noiret et Christophe Lambert. Un film sur la relation père spirituel – fils dans le monde très fermé des tueurs à gage. « Max et Jérémie » est bien en deçà des attentes au vu de l’affiche.

On passe sur un film raté de Bertrand Blier « Un, deux, trois, soleil » (1993) où il n’a qu’un petit rôle.
Patrice Leconte fait appel à lui pour jouer un vieux médecin homosexuel dans « Le parfum d’Yvonne » (1994) adaptation d’un roman de Patrick Modiano.
La même année c’est Claude Miller qui le demande pour « Le sourire » (1994). Comédie dramatique avec une belle dose d’érotisme assumée par Emmanuelle Seigner. Jean-Pierre Marielle joue un vieux psychiatre atteint d’une maladie cardio-vasculaire qui s’amourache d’une jeune aux tendances exhibitionnistes. Retour à la libido pour l’acteur. Et belle prestation pour un film plutôt faible.

Pour « Les Milles » (1995) de Sebastien Grall il interprète un commandant d’un camp d’internement durant la deuxième guerre mondiale qui bien qu’adepte de la discipline dans ce qu’elle a de plus stricte ne se résoudra pas à livrer aux nazis ses prisonniers et organisera leur exfiltration à travers la zone libre. Un beau rôle pour un film qui aurait pu être plus fort.

Patrice Leconte fait appel aux trois amis Jean Rochefort, Philippe Noiret, et Jean-Pierre Marielle pour une comédie sur trois vieux acteurs de comédie de boulevard qui refusent de raccrocher, et dont le producteur, criblé de dettes tente de saboter la tournée pour toucher les dédommagements de l’assurance.
« Les grands ducs » (1996) sorti à grand frais publicitaires, est un gros échec. cependant le film gagne ses galons de film culte avec le temps. Il faut dire que le spectacle de ces trois acteurs ringards (je parle des personnages, et non des interprètes) est à hurler de rire.

En 2000 il tourne pour un film de Claude Lelouch « Une pour toutes » et interprète un flic. Il enchaîne pour Bertrand Blier dans « Les acteurs » dans le rôle de… Jean-Pierre Marielle. Le film est un hommage aux acteurs, au cinéma et aux films. Mais c’est un échec public.
En 2003 il retrouve Claude Miller pour « La petite Lili » adaptation très libre de « La mouette  » de Tchekhov. Nouvel échec public. Encore une fois il est bredouille à la suite de sa nomination pour le César du meilleur second rôle masculin.

Jean-Pierre Marielle continuera de tourner jusque deux ans avant son décès. Ce sont soit des apparitions, soit des petits rôles, soit des films ratés et je pense notamment à « Faut que ça danse » (2007) de Noémie Lvovsky.


Jean-Paul Belmondo vient de voir partir son dernier ami du Conservatoire.