Synopsis
Abords du Château de Villemaur, un soir, début des années 1960, une voiture approche surveillée par un homme. Mais celui-ci est aussitôt éliminé et plongé dans la rivière à bord de sa voiture. Après les visites au public, une réunion a lieu dans le château. Le châtelain accueille à sa table un fasciste italien, un héros de guerre français, un russe, et un ancien nazi. Tous rêvent de faire une révolution en France pour installer un nouveau régime d’extrême droite. Tous? Pas sûr…
CRITIQUE
Georges Lautner lit le roman éponyme du résistant colonel Remy (né Gilbert Renault 1904-1984) publié en 1960. Il le trouve épouvantablement sérieux mais avec ses deux scénaristes en fait une parodie de film d’espionnage. Devant le succès populaire, il sera le premier d’un triptyque « L’œil du monocle » (1962) et « Le monocle rit jaune » (1964).
Humour noir, histoire improbable, interprétation parodique et réalisation soignée, les ingrédients d’une bonne comédie sont là. Effectivement on rit pas mal de ces péripéties où en un lieu clos (ou presque) une nuée d’espions s’entre-déchirent.
Paul Meurisse nous fait un espion français d’anthologie. Cocardier et dérisoire, flegmatique, à la démarche fantasque, à l’humour douteux et au port du pistolet pittoresque.
Les seconds rôles sont soignés: La belle Elga Andersen joue une espionne redoutable qui joue de ses appâts.
Jacques Marin est formidable en fidèle second du commandant Theobald Dromard, prêt à se sacrifier pour lui.
Et Bernard Blier qui en préface du film nous prévient que ce film n’est pas bien sérieux, interprète formidablement un policier hébété, dépassé par les événements, les cadavres qui s’accumulent et les manipulations du commandant Dromard.
Georges Lautner n’a pas encore trouvé Michel Audiard pour lui signer des dialogues soi-soi. Mais Jacques Robert s’en tire plutôt bien.
Georges Lautner soigne ses cadres en se calquant sur ceux de « La dame de Shangaï » (1947) de Orson Welles ou du film de Carol Reed « Le troisième homme » (1949). Son passage dans les souterrains du château semble très inspiré de celui dans les égouts de Vienne.
Enfin la musique de Jean Yatove est plutôt une belle réussite.
Ce film est recensé dans la page : LE FILM POLICIER ET LE THRILLER FRANÇAIS DE 1945 à nos jours.
LA SCÈNE D’ANTHOLOGIE
Le conservateur Mérignac a ouvert la porte de son appartement à sa secrétaire qui est tombée raide morte, un poignard fiché dans le dos. Mérignac a demandé secours à Dromard. Celui-ci décide d’appeler la police mais quand l’inspecteur arrive sur les lieux… Plus de poignard! Dromard par de petites phrases allusives jette les soupçons sur celui qui lui demandé de l’aide. Jolie scène de cynisme.
L’ANECDOTE
Jacques Marin (1919-2001) est ce que l’on appelle un second couteau du cinéma français. Second couteau prolifique (plus de 150 rôles au cinéma de la simple apparition au grand second rôle).
Mais le statut de cet acteur diffère des autres seconds couteaux (comme Robert Dalban, par exemple) sur le fait qu’il a été le prototype du français pour Hollywood. Sa bouille ronde et ses moustaches y sont sûrement pour quelque chose. C’est John Huston pour « Les racines du ciel » (« Roots of heaven« ) (1958) qui emploie Jacques Marin dans un film américain pour la première fois.
Suivront « Drame dans un miroir » (1960) de Richard Fleisher, « The enemy general » (1960) de George Sherman, « Le grand risque » (1961) de Richard Fleisher, « Le couteau dans la plaie » (1962) de Anatole Litvak, « Charade » (1963) de Stanley Donen, « Le train » (1964) de John Frankenheimer, « Les centurions » (1966) de Mark Robson, « Comment voler un million de dollars » (1966) de William Wyler, « Darling Lili » (1970) de Blake Edwards, « L’île sur le toit du monde » (1974) de Robert Stevenson, « Marathon man » (1976) de John Schlesinger, « La coccinelle à Monte Carlo » (1977) de Vincent McEveety et son ultime film « A star for two » (1991) de Jim Kaufman.
Il a ainsi côtoyé des acteurs comme Cary Grant, Anthony Quinn, Lauren Bacall, Marlon Brando, Audrey Hepburn, Sophia Loren, Anthony Perkins, Peter O’Toole…
Le ton du film, très décalé pour l'époque, a désagréablement surpris la maison Pathé chargée de le distribuer, comme le raconte Georges Lautner lui-même : "Le responsable est venu voir le film au labo, à Saint-Cloud. En sortant, il était catastrophé. Il m'a dit que jamais on ne pourrait exploiter ce film, que j'avais mélangé le comique et le dramatique, et qu'on n'avait pas le droit de faire ça ! Il voulait en faire retourner plus de la moitié... Le producteur était prêt à refilmer quelques plans, mais plus de la moitié, il ne pouvait pas, il n'avait pas l'argent. Le distributeur nous a donc annoncé qu'il laisserait le film sur une étagère et que, vraisemblablement, il ne sortirait jamais. J'avais le moral au plus bas. Finalement, pour respecter le contrat, ils l'ont sorti. Le 15 août ! Une mauvaise date, à cette époque Paris est entièrement vide. Le film était condamné... Et, miraculeusement, "Le Monocle noir" a accroché et est devenu un succès (avec 1 624 192 entrées en France). C'était le véritable démarrage de ma carrière, alors j'ai continué à mélanger le comique et le dramatique..." Pour notre plus grand plaisir de spectateur, puis de téléspectateur.
Georges Lautner a su effectivement introduire dans des genres très codifiés (le polar et l'espionnage) et très sérieux, de l'humour, de la comédie et parfois du burlesque. Un savoir faire unique en France. Depuis nous avons eu "OSS 117" de Michel Hazanavicius incarné par Jean Dujardin qui a renoué avec cette veine en y ajoutant une certaine modernité bien sûr.